Une idée presque toute simple que celle de l’éditeur Soleil Manga qui a créé une collection consacrée aux classiques de la littérature transposés en mangas. Sorte de traduction vulgarisée d’œuvres littéraires ou d’essais couvrant des domaines aussi variés que la philosophie, la littérature ou encore l’économie, cette collection est un bon compromis pour les lecteurs qui tremblent à la vue des titres, de l’usage un peu obsolète de la langue française ou de l’épaisseur des ouvrages en version originale, pour aborder ces grands textes souvent complexes grâce à des mangas uniques en leur genre.
Ces ouvrages sont proposés en sens de lecture occidental et ne prétendent pas se substituer aux œuvres ou aux manuels scolaires. Ils offrent au contraire une nouvelle opportunité de faire connaissance avec des textes fondamentaux, enrichis de surcroît du prisme nippon.
Au catalogue :
- Le Rouge et le Noir de Stendhal
- A La Recherche du Temps Perdu de Proust
- Le Capital de Karl Marx
- Guerre et Paix de Tolstoï
- L’Interprétation des Rêves de Freud
- Le Prince de Machaviel
- Le Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx
- Du Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau
- Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche
- Orgueil et Préjugés de Jane Austen
- Le Livre des Morts égyptien
- La Bible, Ancien Testament
- La Bible, Nouveau Testament
- Entretiens de Confucius
- Les Mots de Bouddha
A venir :
- Une Vie de Maupassant
- Discours de la Méthode de Descartes
- Théorie de l’Evolution de Darwin
- Les Misérables de Victor Hugo
Cette collection Classiques en manga est un franc et sympathique moyen de découvrir ces œuvres dont le contenu rebute souvent les néophytes ou ceux qui aiment d’abord lire par plaisir et pas forcément se plonger dans des œuvres au langage décalé car ancien et rendant le propos quelque peu… obscur.
Culture générale ou pas, aborder ces œuvres par ce biais est enrichissant et plaisant, on évite les clichés des écrits d’un autre âge pour en saisir toute la valeur et quand on est un étudiant ou un lycéen devant présenter et comprendre ces écrits, c’est une bonne manière de se faciliter, avec plaisir, la compréhension avec une vision globale et familiarisée à nos mécaniques de pensées d’humains du 21e siècle.

Les plus surprenantes réussites concernent les titres qui retranscrivent non pas seulement un récit mais une idée, un principe, social, politique ou scientifique. A travers l’image et le texte adapté au format BD ne retenant que l’essentiel, comprendre des monuments tels que Le Prince, Le Capital, La Théorie de la Relativité ou Ainsi Parlait Zarathoustra est offert à tous les lecteurs.
Par exemple, Le Prince ne fait pas que reprendre le propos de Machiavel, il explique par le menu la source des tensions politiques de l’Italie de la Renaissance alors divisée en plusieurs royaumes qui se faisaient une guerre par les armes mais aussi économique et artistique avec en toile de fond le main mise papale (avis aux fans d’une certaine famille Borgia, c’est l’occasion de comprendre bien les enjeux de leur époque et l’importance jouée par ces représentants sur la politique et donc la vie des Italiens d’alors). Car c’est en étant confronté aux manigances, complots mais aussi actes en pleine lumière des puissants de son temps que Machiavel en a élaboré son traité définissant le rôle, les devoirs et les droits d’un prince, de celui qui, par la seule volonté de faire avancer les choses dans son pays peut envers et contre beaucoup obtenir victoire, et parfois en payer le prix en retour.

Avec le même soin mais peut-être plus d’aisance, l’adaptation en manga d’un des titres les plus connus au monde de
Jane Austen, Orgueil et Préjugés, démontre combien il peut être avisé de faire d’une œuvre littéraire une bonne BD qui ne trahit nullement l’original mais propose une aventure visuelle divertissante avec toute l’intensité et la subtilité du récit ancré dans son époque. Le point de vue de l’auteur sur son époque reste prépondérant.
Sous un graphisme qui n’a rien d’extraordinaire mais rempli un rôle essentiellement fonctionnel puisque le message passe par l’image, la qualité est au rendez-vous. Le fond est meneur de la construction du récit, la forme n’est qu’accessoire, elle rend le tout limpide, surtout par une mise en scène millimétrée est des personnages très expressifs. Selon les thématiques, on a même droit à un chara-design simplifié et grotesque soulignant avec humour les conflits d’idées ou politiques (Le Prince).

Le grand point fort de cette collection Classiques réside dans une scénarisation et une mise en image mêlant le récit original débarrassé de ses détours littéraires complexes à son contexte de création. Ainsi, et quelle que fut l’histoire de l’œuvre, sa genèse, le pourquoi et le comment deviennent plus importants. L’explication du devenir de ces œuvres comme parties intégrantes de l’Histoire, de leur postérité littéraire et idéologique pour l’humanité, des raisons qui font qu’elles demeurent encore de nos jours des « classiques » référentiels de la pensée influant sur le présent des peuples est sous-jacente mais toujours présente, comme le fil conducteur de chaque récit. La traduction en manga réaffirme que, bien que l’Humanité ait évolué, que les époques se soient succédées et que les temps soient différents, le sens profond de ces œuvres se rapporte à l’essence même de l’humain.