Notre critique de « That Moment Maybe »

Shanghai. Li Shaokun termine ses études en psychologie comme stagiaire pour le professeur Wang. Fiancé à la superbe et adorable Feifei, passionné par son travail, son avenir s’annonce radieux. Jusqu’à ce qu’une nouvelle patiente devenue aveugle après un accident de la route se présente au cabinet. Shaokun reconnaît immédiatement en Wenxin une camarade de lycée avec laquelle il a entretenu une correspondance sans jamais lui avoir parlé. La jeune femme apathique, peu liante et déprimée doute que des consultations puissent l’aider à surmonter son traumatisme. Shaokun est gêné. Il veut aider Wenxin mais son soudain retour dans sa vie bien réglée le fait peu à peu douter peu à peu de ses sentiments passés et présents. Et si…

Après le très bon Crystal Sky of Yesterday, Pocket Chocolate poursuit son aventure avec Kotoji et nous revient avec ce one shot à la fois tendre, onirique et plein de bon sens.
Les shojos qu’ils soient japonais, coréens ou chinois sont si nombreux qu’il est parfois difficile d’en dénicher un qui ne soit pas une éternelle redite des grosses ficelles trop lues et relues. Heureusement, il existe des auteurs d’exception qui renouvellent doucement le genre par des histoires certes sentimentales mais ancrées dans l’actualité. Pocket Chocolate est de ceux-là. Il ne dépeint pas seulement une jeunesse chinoise et ses tourments émotionnels, il mêle des récits de la vie de tous les jours, des situations qui sont universelles et intemporelles à ce qu’il connaît de la nature humaine, des conditions de vie du moment.

That Moment Maybe s’attache donc à nous plonger dans la vie bien installée d’un jeune homme au sortir de ses études, paré pour entrer dans la vie adulte avec tout ce qu’il faut de conventionnel. Jusqu’à ce qu’un joli grain de sable ne vienne faire dérailler la locomotive !
Avec des « si » on pourrait refaire le monde mais aussi détruire celui que l’on s’est construit. C’est ce qui arrive à Shaokun. Posé, calme, gentil, il mène sa barque sans se laisser dépasser ni par l’impatience de sa fiancée ni par les attentes parentales. Il sait où il va mais des retrouvailles hasardeuses comme seuls les caprices de la vie peuvent en engendrer viennent réveiller le doute.
Dès que ses souvenirs se mettent à galoper, la balance pourtant équilibrée de son quotidien penche dangereusement, et le fantasme que représentait son béguin d’autrefois revient le hanter, risquant de briser ses liens avec sa fiancée mais aussi sa carrière toute tracée. Car la frontière est mince entre un psychologue et son patient, la déontologie proscrit à juste titre les liens personnels… mais si ceux-ci existent en dépit de toutes les mises en garde, que reste t-il du professionnel et de sa mission ?

Une très bonne base pour une histoire qui ne tombe pas dans le pathos ou les excès si on met de côté les réactions un peu vives de Feifei. Le personnage de Shaokun est bien construit et on s’attache rapidement à lui. Wenxin, enfant de divorcée ayant grandi sous la pression de la réussite, longtemps ignorante de ce lien avec son thérapeute inspire une bonne dose de sympathie même lorsqu’elle réagit comme une enfant, car cela s’accorde avec la jeune femme en détresse physique et psychologique qu’elle est.
La recette tient la route et accroche le lecteur malgré quelques longueurs dans le récit qui s’explique par le style même du manhua : beaucoup de texte en bulles pour les dialogues et en cases pour les pensées et les réflexions de Shaokun, qui sont logiquement nombreuses. Néanmoins chaque ligne a son importance dans cette histoire dont la conclusion est bien amenée pour les uns comme pour les autres.

Le tracé est très fin, élégant et soigné. Le chara-design est assez typique du manhua, donc très joli mais le style de Pocket Chocolate se reconnaît à la mise en valeur des émotions sur les visages, l’attention portée au physique de chaque personnage bien distinct et détaillé de telle sorte que l’on identifie immédiatement les jeunes adultes des autres. De même, on retrouve les traits de Shaokun et Wenxin dans leurs homologues lycéens. Le travail sur les environnements et décors enveloppe les protagonistes, plante les atmosphères et met en avant l’urbanisme changeant de Shanghai. Autre élément graphique propre à l’auteur : la mise en couleur. La maîtrise de l’aquarelle ne laisse échapper aucun détail et sublime chaque page et l’on apprécie de lire une bande dessinée asiatique qui sorte du noir et blanc !

Sur un manhua de si belle facture, il fallait assurer une édition française qui ne gâche rien, Kotoji n’a pas manqué à son engagement. La qualité est là, papier glacé un peu épais, impression des couleurs, du trait, sans bavure ni flou, typographie appréciable et claire, couverture souple mais cartonnée, ce tome est aussi un très bel objet.

 Verdict : Un Très Bon Tome !!!