Notre critique de « Halcyon Lunch »

Gen a raté sa vie au regard des critères de la société. Quadragénaire ruiné par une mauvaise association, il a perdu sa maison et sa famille sans oublier son entreprise. A présent, il subsiste comme SDF, contraint de manger ce qu’il parvient à pêcher dans la rivière peu engageante qui traverse la grande ville… Alors qu’il est là avec sa canne à pêche de fortune, à ressasser ses malheurs, une jeune femme se plante à son côté et lui déclare qu’elle a faim. Gen n’en croit pas ses yeux ni ses oreilles. L’apparition, prénommée Hyos, éveille en lui une sorte de fibre paternelle et il lui promet que s’il attrape un poisson, il sera pour elle. Mais à peine l’a-t-il quittée du regard que Gen remarque que ses affaires ont disparues tandis que la jeune fille est encore en train de mâcher ! Refusant de croire ce qu’il en déduit, Gen entend un groupe de voyous se diriger vers lui avec de bien mauvais projets le concernant. Ni une ni deux, Hyos les avale tous crus avant de les recracher sous les réprimandes de Gen. Le mélange bonshommes-affaires de Gen a plutôt drôle d’allure ! Mais plutôt que de l’affoler, l’étrange capacité de Hyos donne à Gen des idées lucratives…

On connaît l’excellence artistique et narrative d’Hiroaki Samura à travers sa série phare L’Habitant de l’Infini et son attachement à l’Histoire au-delà des frontières de son archipel grâce au très réussi Snegurochka. Ces deux réalisations uniques ont fait de lui un nom qui compte dans l’univers manga et fédéré un large lectorat qui n’imagine pas lire un gag manga de la main du maître !

C’est pourtant ce qu’il nous propose avec les deux tomes de Halcyon Lunch.

Récit farfelu mêlant humour, dérision, satyre sociale, fantastique, à mille et une références littéraires et culturelles ne se limitant pas au Japon, Halcyon Lunch met en scène un anti-héros très contemporain, flanqué d’une sorte d’extra-terrestre gloutonne qui dévore tout ce qui se présente, humains, animaux et objets et peut, en les régurgitant, les transformer en amalgames bizarroïdes tout droit sortis de récits d’horreur. Loin de terrifier Gen ou les rares compagnons de mésaventure qui viennent s’associer à son parcours au fil des pages, les capacités et la nature de Hyos leur offrent de multiples opportunités de se refaire une vie digne de ce nom et surtout du profit. Bien entendu, Gen étant maladroit dès qu’il s’agit de gérer ses affaires sans se faire avoir, les rebondissements sont nombreux.

Gag manga purement original, aux personnages non moins étranges mais bien attrayants, si subtilement créés qu’on a envie de les suivre dans leurs pérégrinations catastrophiques et décousues, Halcyon Lunch est surtout riche d’un humour fin et incessant, porté par des références culturelles si nombreuses que certaines d’entre elles n’ont pu être adaptées à la version française en dépit du talent et du soin apporté par Aurélien Estager fidèle traducteur de Samura sensei. Un petit glossaire en fin de tome permet de ne rien rater de ces quelques nuances intraduisibles.

Toujours aussi spectaculaire, le trait de Samura sensei se plie au ton comique de second plan de la narration. Fin mais très dense et présent, détaillant aussi bien les traits des visages, des cheveux, les plis des vêtements que les brins d’herbe ou encore les conséquences hallucinantes de l’appétit de Hyos, le style du mangaka nous immerge pleinement dans son monde et celui de ce nouveau titre.

Brisant une réputation méritée mais sans doute trop limitative pour lui, Hiroaki Samura s’est lancé le défi de réussir un gag manga décalé marqué par sa patte bien personnelle. Le pari est gagné pour peu que l’on s’accorde quelques pages de patience et d’immersion.

Verdict : Deux Très Bons Tomes !!!