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Japon

Notre critique du tome 1 de « Mishima Boys »

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Actu Manga, Akata, Critique Manga, Eiiji Otsuka, Manga, Mishima boys, MPD Psycho, Seinen,

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Dessinateur : Seira Nishikawa
Scénariste : Eiji Otsuka
Éditeur : Akata
Collection : Seinen
Genre : Société, Politique, Suspense
Public : Public averti
Site officiel : Aucun
Sortie : 28 janvier 2016
Prix : 16,50€
Statut de la série : Terminée en 2 tomes

Dans le Japon de l’après-guerre, la pensée de Yukio Mishima, écrivain nationaliste reconnu, nourrit et se nourrit du malaise qui s’empare de son époque. Le choc des circonstances ayant mis à fin à la guerre est passé mais la souveraineté abandonnée aux mains des américains, au capitalisme et à l’influence occidentale enclenche des bouleversements mal acceptés. Des voix se font entendre, prônant un retour aux valeurs traditionnelles du Japon, pour la sauvegarde de sa culture, de son identité. Echo du passé qui a déjà provoqué bien des conflits internes au pays, ce discours séduit pourtant le cœur d’une jeunesse désabusée, égarée dans une société en mutation qui ne leur apporte que douleurs, incertitudes et désespoir.
Après Unlucky Young Men, Eiji Otsuka poursuit son exploration d’histoire politique et sociale avec Mishima Boys. On le sait grâce à des séries publiées en France telles que MPD Psycho, Eiji Otsuka ne recule devant rien pour écrire un bon récit. Il ne manque jamais de mêler psychologie, sociologie, influence médiatique, atmosphère sombre et même sordide pour mieux insister sur les détails qui, de concert, offrent une narration prenante et détaillée.
Dans Mishima Boys, il se plaît à brouiller les pistes et égare parfois le lecteur avec malice. Quel meilleur stratagème pour le forcer à relire certains dialogues, à réfléchir au sens profond des mots ? S’inspirant de faits réels, d’une personnalité controversée et tragique telle que Yukio Mishima, Eiji Otsuka présente sa version de l’histoire nipponne de l’après-guerre.
Mais qui était Yukio Mishima ?
Pour résumer, c’était un écrivain qui connut la gloire à 24 ans dans le Japon de la fin des années 40. Ses récits populaires, des fictions, contaient son pays et les tourments des relations humaines dominées par le rejet et la souffrance morale. Il écrivit aussi des pièces de théâtre Kabuki et joua la comédie. Il fut aussi célèbre dans le monde que son ami et confrère Yasunari Kawabata. Sa vie personnelle est jalonnée de tourments, tiraillé qu’il fut entre son homosexualité et son devoir de fils de se marier et d’avoir des enfants. Dans les années 60, Mishima donna à ses écrits un ton résolument nationaliste et, tout en continuant à écrire, s’engagea dans les Forces d’Autodéfense du Japon renommées par la suite Tatenokai destinées à assurer la protection de l’empereur. En novembre 1970, accompagné de quatre disciples acquis à sa pensée, il se rendit au quartier général du ministère de la Défense et pris le général commandant en otage le temps de prononcer, devant les troupes, un discours enflammé en faveur du Japon traditionnel. Mais les soldats le huèrent volontiers. Mishima se retira donc et se donna la mort par seppuku. Coup d’état manqué ou simple prétexte à un suicide rituel dont la symbolique rallierait d’autres disciples à sa pensée, nul ne le sait. Le fait est que la pensée nationaliste de Mishima s’est transmise à travers son œuvre et continue de séduire car la question demeure dans le Japon moderne : quelle place pour les traditions et la perpétuation de l’identité nippone face aux implications internationales et à l’ingérence occidentale ?
Eiji Otsuka aime cette part de l’histoire de son pays, cet après-guerre tourmenté. Le contexte social et politique est flottant, meurtri par les destructions, les morts, une économie en berne, une domination étrangère et si le peuple est peu à peu fermement décidé à tous les efforts pour relever le Japon, il laisse dans son sillage des âmes égarées qui peinent à trouver leur place. Période complexe et passionnante, les années 60 sont aujourd’hui présentées comme la source du miracle économique japonais mais, dans Mishima Boys, Otsuka insiste sur ces citoyens laissés pour compte, prêts à tout pour ne plus être ignorés, pour réussir eux aussi, sortir de leur misère qu’elle soit intellectuelle, morale ou matérielle.
Nous avons donc trois héros, trois garçons sobrement nommés K, M et Y qui, portés par leurs désirs et la face sombre de leur époque, commettent l’irréparable. Par leurs actions, ils inspireront Mishima. A moins que ce ne soit lui qui les inspire ? « Chacun de vous ne sera qu’une figure de moi-même ». Une première astuce de la part d’Otsuka… En introduction, il présente ces personnages, comme on le ferait avant le début d’une pièce de théâtre. Qui est qui, qui fera quoi. Quant à Mishima, il ne sera que le maître d’œuvre, le conteur de l’ombre représenté par un assistant qui ne sera visible que des trois héros.
S’inspirant de faits réels, Otsuka met en scène ses personnages. K un meurtrier dont l’acte bouleversera le public, M un terroriste qui fera la une et Y un nationaliste d’extrême-droite qui cherchera par tous les moyens à se défaire du carcan militaire auquel il est destiné. Tous trois sont possédés par un désir commun qu’ils partagent avec Mishima, celui de voir le monde s’effondrer, peut-être pour mieux renaître… Si l’épisode narrant le parcours de K est linéaire, le parallélisme avec un certain R nous fait nous demander lequel des deux est le vrai meurtrier, de même, les chemins suivis par M et Y sont présentés imbriqués l’un dans l’autre et nous invite à plonger toujours plus avant dans le récit pour mieux en saisir toute la subtilité.
Comme dans une vraie pièce de Théâtre ou un bon film, Otsuka s’amuse à brouiller les pistes, titille l’esprit du lecteur, le pousse dans ses retranchements pour mieux lui suggérer la portée de son discours.
Le dessin de Seira Nishikawa sublime l’écriture d’Otsuka. Pleines pages rappelant les circonstances historiques ou insistant sur un moment clé du récit, mise en scène mesurée, sobre et sombre, attention au traitement des décors et environnements, alternance de plusieurs styles dans le réalisme allant des codes du seinen au travail typé du peintre et du portraitiste, ne négligeant jamais l’importance du rendu des pensées et des émotions sur les visages, insistance visuelle sur le malaise des actes commis, équilibre entre trames et aplats de noir, découpage des scènes dans un genre cinématographique… Toute la force de cette histoire est traduite par le trait et l’immersion est totale.
Ce manga atypique n’abordant pas un moment glorieux de l’histoire récente du Japon, Eiji Otsuka ne trouva pas, dans un premier temps, d’éditeur nippon pour le publier. A la faveur d’une rencontre avec Dominique Véret directeur des éditions Akata, il fut décidé que la toute première édition serait française, ouvrant ensuite le marché japonais à Mishima Boys. On ne peut qu’admirer l’engagement des éditions Akata qui cherchent à proposer un spectre toujours plus large et exhaustif de l’univers du manga, au-delà des grosses machines et des clichés populaires, rappelant que le manga n’est pas que de la fiction distrayante, qu’à l’image de la BD occidentale, il est aussi une forme d’expression littéraire aux variations thématiques infinies.

Points forts : 

  • Scénario audacieux, mi-historique mi-politique 
  • Écriture complexe qui nécessite une réelle implication du lecteur 
  • Thriller 
  • Suspense 
  • Réalisme 
  • Dessin au service de la narration 
  • Trait détaillée, très expressif 
  • Atmosphère + + 
  • Mise en scène 
  • Édition française de qualité : papier, impression, format 23,8 x 17,4, cartonné, préface et postface 

Points faibles : 

  • Manga atypique qui n’est pas forcément grand public 
  • Traduction : faute d’accord en introduction
Verdict : Un Excellent Tome !!! 

Rédactrice manga de Nipponzilla. Dévoreuse manga, BD et livres en tous genre, bavarde absolue, elle s’attaque à tout ce qui ressemble de près ou de loin à un bon titre et qu’importe les déceptions, elle s’acharne pour vous dénicher des perles.

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