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Japon

Notre dossier concernant « Innocent » de Shin’ichi Sakamoto

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Shin’ichi Sakamoto nous avait déjà éblouis et conquis avec son splendide Ascension, il récidive depuis 7 tomes (édition française) avec Innocent, manga historique, basé sur l’écrit de Masakatsu Adachi et retraçant la vie du Charles-Henri Sanson, dernier bourreau officiel de la monarchie française. Subtile alliance de tragédies personnelle et nationale, Innocent nous plonge dans la vie mélancolique, sanglante et souffrante d’un homme qui aurait simplement voulu être un autre mais assuma son destin, face à lui-même et à son temps.

  • Inspiration

« […] premièrement, je souhaite que les gens gardent à l’esprit que le monde que vous pensez acquis peut basculer du jour au lendemain ; et deuxièmement, je souhaite faire avancer les mentalités sur les sujets propices à la discrimination, et sur les jugements hâtifs […] » (interview de Manga News)
Sakamoto sensei aime les récits vrais, mettre en image et en scène la vie de personnages peu connus de ses contemporains, à la vision et aux modes d’existence jugés en décalage avec la majeure partie de leurs semblables, sources d’autant de souffrance que de bonheurs.
C’est ce qui fait la grande particularité et le charme unique de Buntaro Mori dans Ascension, la solitude à laquelle il se raccroche, son amour pour cette nature dénuée de toute présence humaine, au risque de s’y perdre et de perdre la vie. Différent et égal, Charles-Henri Sanson est dévoré par le rejet, l’horreur que son seul nom provoque auprès de ses semblables, simplement par superstition religieuse, par peur du sang, parce que donner la mort reste un tabou envers Dieu et ses commandements mais il faut bien quelqu’un pour se salir les mains au nom de la sécurité et du bien-être public ? Cela n’empêche pas l’opprobre de frapper la maison Sanson qui officie depuis 1688 au service de la monarchie, assurant par son glaive et la crainte qu’elle inspire la sécurité des parisiens et des grandes cités des France. Car la crainte de la mort par violence poursuit tout criminel.
C’est d’ailleurs ce qu’affirme Sanson à travers les bulles de Sakamoto sensei : « c’est mon glaive qu’ils craignent ! » mais ce n’est pas lui qui décide qui doit mourir et comment, à ce titre, il est Innocent !

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Exécutant, héritier sans désir d’une fonction honnie, maudite, qui le condamne à la solitude, au rejet et bien d’autres, Charles-Henri est comme Buntaro, il craint ses semblables autant qu’il attend d’eux d’être accepté tel qu’il est et non tel qu’on l’imagine.

  • Personnage Complexe

Charles-Henri Sanson (1739-1806) vécut la grande période charnière de l’Histoire de France des Lumières, à la fois dans l’ombre et sous la lumière terne d’une Révolution Française qui se termina en vaste boucherie avec ses années Terreur. Si l’on s’en réfère aux chiffres officiels (Wiki) il aurait, dans sa carrière, personnellement exécuté plus de 3000 condamnés dont 2918 au cours de la Révolution dont Louis XVI, Danton, Robespierre, Desmoulins…

Présenté comme le dernier bourreau de la monarchie, on peut corriger un peu en ajoutant que ses deux fils ont travaillé avec lui, son aîné ayant personnellement mis à mort Marie-Antoinette.

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Dans Innocent, on rencontre un Charles-Henri de 15 ans, qui refuse l’office de bourreau, qui aspire à une autre vie, libre de son nom et de ce qu’il inspire à tout un chacun.
Forcé par le destin et une grand-mère qui tient la famille d’une main de fer, obligeant le père à soumettre son ainé à un avant-goût des tortures qu’endurent les condamnés pour qu’il accepte son destin sanglant, plongé au-devant de l’échafaud par un père qui succombe lentement mais sûrement à la maladie, on suit un Charles-Henri qui, dans les larmes et le sang, accède à la fonction honnie.

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De l’exécution ratée et donc barbare de Thomas Arthur de Lally Tollendal, un jeune homme de son âge qu’il avait rencontré auparavant et considéré comme son premier ami, à la lente mise à mort du régicide Robert-François Damiens, Charles-Henri apprend de ses erreurs, apprend son métier, endosse la terrible responsabilité et change peu à peu son état d’esprit. Il accepte l’héritage mais entend mener son office suivant ses convictions, bras armé de la justice du roi mais en économisant la souffrance dès lors qu’il ne trahit pas les ordres reçus. Charles-Henri entre dans l’âge adulte comme dans le lourd manteau de pourpre de son père, symbole des exécuteurs du roi.
Son cœur se durcit mais s’ouvre aussi à la raison, se bat avec ses armes qui sont non l’acceptation pure et simple mais la force de ses convictions.
A ce jeu, son physique est un grand atout dont il apprend à jouer très jeune, favorisant l’élégance de ses tenues pour représenter non le porteur de mort mais un homme qui a la charge d’une mission que personne d’autre ne pourrait assumer. Devenu un homme, il s’oublie dans les bras de nombreuses conquêtes pour supporter le poids des morts, de ses erreurs, du rejet de son propre père, la fascination de sa petite sœur pour l’office de bourreau, la violence de la matriarche dont il vole l’autorité avec les années. Il apprend aussi que le changement ne se fait pas en un jour, que les consciences de ceux qui décident pour les petits ne seront pas si aisées à éveiller et que le dauphin lui-même, bien que ne le voyant pas comme un monstre, ne sera pas le sauveur qu’il espère. Avec le temps, il réalise qu’il va devoir composer avec les rivalités de la cour, dont sa sœur et lui deviennent, parfois, les jouets.

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  • Réalité Historique

Sans doute possible, louons l’exactitude remarquable dans le traitement esthétique qui fait de Sakamoto un maître tant son trait est, en toute chose, fidèle à l’époque. On savait la valeur de son art à la lecture d’Ascension, qui mêlait onirisme et réalisme sans concession, de l’identité de Buntaro Mori, des hommes, de la nature sans pitié aucune pour ceux qui ne la considère pas et même pour ceux qui savent la craindre et tentent de la dompter. Dans Innocent, chaque page hurle la perfection.

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Tracé fouillé et minutieux des monuments que nous pensons connaître, ancrés dans un environnement disparu, dessin de l’architecture des demeures, crasse des rues de Paris, douce paix des prairies et jardins, mobilier explosant de richesses et d’un artisanat perdu, abondance dans les costumes, variété des émotions sur des visages aux expressions multiples illustrant les caractères et les pensées, anatomie irréprochable des corps qui souffrent ou exultent…

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Les éléments relatifs au métier de bourreau sont également très proches de ce que l’on en sait par les témoignages épigraphiques de l’époque. Vus comme des démons au service de la Grande Faucheuse, rejetés par superstition, les Sanson sont bien décrits dans les bouches de ceux qu’ils rencontrent comme des porteurs de mort où qu’ils aillent, sur leur chemin on peut attirer la mort à soi, ils mangeraient les cadavres etc… Et cette vision n’est pas l’apanage des petits, pauvres et illettrés, paysages et autres mendiants, les bourgeois, les nobles, tous imaginent que les Sanson sont tels des êtres de cauchemar qui enlèvent les petits enfants pour les jeter dans un chaudron !  
Sakamoto use volontiers de ces mots et met en image un Charles-Henri squelette dans ses beaux habits.
Dans la même idée, lorsque ce héros frappé d’ignominie s’aventure à ne pas se présenter immédiatement et n’est alors jugé que son splendide physique par ses conquêtes ou le futur Louis XVI lui-même, c’est avec des menaces de mort qu’on le rejette ensuite. Toucher ou être touché par lui attire le malheur et le trépas…
Les personnages historiques ayant réellement fréquenté l’existence des Sanson sont bien représentés. Depuis les membres de la famille jusqu’aux condamnés en passant par la noblesse et les favoris de la cour, et bien qu’ils soient essentiellement là pour faire grandir le héros, susciter les passions et les complots, définir les mentalités d’une époque que Charles-Henri veut voir changer pour abolir la peine de mort, tous entrent en scène aux bons moments du récit. Les détails des circonstances des mises à mort sont respectueux des faits et ne nous épargne d’ailleurs rien du raffinement sanglant d’alors. Et on comprend en quelques pages l’horreur d’une telle responsabilité, l’ampleur de cette réalité : la réputation des Sanson mise en jeu à chaque condamnation, les conséquences d’une exécution manquée, le poids d’une épée pour décapiter alors que Charles-Henri ou Marie-Joseph ne sont encore que des enfants au physique frêle, les douleurs endurées par analyse anatomique…

  • Liberté respectueuse avec l’Histoire

Comme toute œuvre destinée à une lecture plaisir mais fondée sur une thématique historique, Innocent n’échappe pas aux arrangements avec l’Histoire. Si la plupart des éléments de ce genre sont anecdotiques, notamment la grande beauté physique de Charles-Henri, et ne font que donner du punch au propos, le développement du personnage de la sœur cadette Marie-Joseph est franchement du domaine de la fiction.

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Certes, Charles-Henri fut l’aîné de 10 enfants et tous ses frères furent nommés bourreau de la couronne dans les grandes villes de France. Néanmoins, il est établi que Charles-Henri fut le maître des hautes œuvres pour la ville de Paris et pour Versailles, raison pour laquelle il eut pas mal d’assistants tout au long de sa carrière et que ses deux fils eurent à se joindre à lui dans les dernières années de son activité. Ainsi, en dépit de ce qui est soutenu par le scénario de Sakamoto, les mentalités ne changèrent pas avant l’heure au point de nommer une fille de 11 ans à la charge de bourreau de la cour de Versailles.
Mais Sakamoto seinsei est un malin, il sait qu’un tel personnage va nourrir son récit de plusieurs façons.

Marie-Joseph est un pendant idéal au personnage de Charles-Henri : avide, féroce et parfois cruelle, elle embrasse littéralement la profession de bourreau que son frère exècre en dépit du soin avec lequel il se plie à son office. Elle dépeinte comme fascinée depuis l’enfance par le métier et ses connaissances, étudiant en secret l’anatomie et soutenant même Charles-Henri au cours de la pire des exécutions qu’il ait eu à mettre en œuvre pour la couronne, celle de Damiens.

On sait aujourd’hui, surtout par le témoignage autobiographique de Charles-Henri Sanson, que les souffrances de Damiens furent innommables non par la faute de chevaux trop vieux mais parce qu’une telle mise à mort n’avait pas été exigée par la couronne depuis Ravaillac, soit 200 ans et que ce « savoir-faire » était quelque peu perdu… Ainsi, lorsque l’écartèlement tourna court à cause du manque de coopération des équidés, et au fait que le condamné était particulièrement costaud et résistant à la torture, c’est Charles-Henri lui-même qui suggéra de trancher les tendons. D’abord refusée par la couronne, cette solution fut acceptée après de nouveaux essais infructueux d’en finir avec l’écartèlement par traction animale et grâce à la collaboration du chirurgien royal qui confirma le diagnostic de Sanson…
Sakamoto a choisi d’ajouter un rôle pour Marie-Joseph encore toute petite qui, par le conseil qu’elle offre à son frère, signe son destin sanglant. Parce qu’elle se révèle aux autres membres de sa famille que Charles-Henri, elle déclenche la colère matriarcale et sa vie commence à changer. Elle sera la première femme bourreau, digne de l’héritage des Sanson. Complice puis rivale de Charles-Henri, elle représente l’espérance des femmes à devenir plus que des épouses ou des mères, posant par sa seule présence dans le récit une autre manière de mettre en valeur une idée fondatrice de l’histoire et du bouleversement qui alimenta la Révolution Française. Le changement !
L’existence romancée de Marie-Joseph Sanson est loin d’une Rose de Versailles. Elle a choisi de rejeter sa féminité pour accéder à ce qu’elle considère comme lui revenant de droit, elle assume sa rébellion contre les règles établies et s’expose volontiers aux sanctions éventuelles, quelle qu’en soient la forme.
Sakamoto fait de Marie-Joseph un messager aussi fort que Charles-Henri. Même si leurs points de vue diffèrent, ils œuvrent pour le même espoir, un bouleversement des consciences, un monde nouveau. Mais tandis que Charles-Henri l’appelle de ses vœux autant pour lui-même que pour ses semblables, Marie-Joseph, plus pragmatique, ne semble lutter que pour elle.

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  • Conclusion 

Dans la veine des meilleurs mangas historiques, Innocent nous éveille à une facette peu connue de l’Histoire de France, celle des bourreaux garants de la Justice du Roi, mais nous révèle aussi une vision pédagogue et passionnante de cette époque de grands bouleversements pour la France, des réalités qui ont nourrit ce changement radical construit par la violence et la détermination idéaliste de quelques uns dont Charles-Henri Sanson a fait partie.

Rédactrice manga de Nipponzilla. Dévoreuse manga, BD et livres en tous genre, bavarde absolue, elle s’attaque à tout ce qui ressemble de près ou de loin à un bon titre et qu’importe les déceptions, elle s’acharne pour vous dénicher des perles.

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