Dessinateur : Takashi Imashiro
Scénariste : Takashi Imashiro
Editeur : Akata
Collection : Seinen
Genre : Société, , Tranche de vie, Documentaire
Public : Tout public
Site officiel : Aucun
Sortie : 10 novembre 2015
Prix : 7,95€
Statut de la série : Terminée en 3 tomes
A quelques jours de la catastrophe du 11 mars 2011, Tokyo vit au rythme des opérations qui se déroulent au cœur de la centrale de Fukushima Daiichi. Satô, un tokyoïte comme les autres, passe ses jours et ses nuits à consulter les informations, réagissant au moindre mouvement médiatique, craignant pour sa vie et son pays. Explosera, explosera pas ? Tandis que les évènements se succèdent, Satô est tour à tour pétri de peurs, d’angoisses mais surtout de colère. La confusion quant à la réalité de plus en plus masquée de l’accident nucléaire et de ses conséquences le révolte. Tout autant que l’impassibilité de ses concitoyens. L’évidence est pourtant là : les politiques et les médias mentent au peuple. Mais alors, qui croire et surtout que faire lorsque l’on est simple citoyen noyé dans la masse, ignoré et abandonné avec ses doutes ? Satô veut non seulement comprendre mais surtout hurler son indignation et sa colère. Car seule la sincérité et le courage peuvent encore sauver son pays.

Pour ceux qui aiment la culture japonaise et s’intéressent au Japon, la catastrophe de ce tsunami sans précédent de mars 2011 demeure très présente dans nos mémoires. Le choc à peine encaissé de ces images qui passaient en boucle, montrant des rouleaux d’eau salée se déversant sur les petites habitations de bord de mer, une annonce plus terrible encore est tombée : le tremblement de terre n’avait pas seulement réveillé la fureur marine, il avait aussi enclenché un compte à rebours mortel pour toute forme de vie en endommageant les installations de la centrale nucléaire de Fukushima. Même sans être japonais, même en vivant à des milliers de kilomètres, nous avons vécu ces heures d’attente interminables, priant pour que les opérations visant à enrayer la fatale et folle course des réactions en chaîne au sein du complexe nucléaire soient efficaces.
Rien de surprenant donc à ce que les premiers chapitres de Colère Nucléaire ne nous touchent profondément. Car cette peur primale face à l’inconnu, l’invisible menace atomique, est ancrée en nous, ne serait-ce que par les minces connaissances acquises, aussi minimes soient-elles, des conséquences des bombardements de 1945. Bien évidemment, et comme le héros de ce manga, nous demeurons aveugles à ce danger qui nous entoure, qui est omniprésent, puisque nous dépendons tous de cette ressource énergétique.
A la lecture de ce tome, on oublie la guerre des arguments, des pour ou contre le nucléaire, on se souvient seulement que nous sommes des êtres humains, seuls face aux pouvoirs publics, seuls face aux conséquences de notre candide ignorance car lorsque l’impensable se produit, il ne reste que peu d’options. Mais encore faut-il choisir les bonnes. Là commence le propos réel de Colère Nucléaire.
Après un rappel chronologique des faits, on suit les pas et surtout les pensées et réflexions de Satô, monsieur tout le monde, icône que celui que nous sommes tous. Ce n’est pas une guerre comme l’humanité en a tant connu mais un conflit qui ne se nomme pas et devant lequel Satô et ses quelques amis tentent maladroitement, portés par leur seule révolte et le désir de ne plus jamais vivre dans l’insouciance volontaire qui les poussent à chercher, à comprendre, à trouver les moyens qui, à leur échelle, pourrait sécuriser l’avenir de leur pays, des générations futures, même au-delà de leurs frontières. Evidemment, notre empathie s’attache à Satô car, comme lui, on aura beau hurler contre le nucléaire, on se sait dépendants : après tout, n’est-il pas collé à son téléphone et à sa TV pour rester informé bien que ces objets n’existent que par la ressource énergétique tant honnie ?
Rien n’est passé sous silence par l’auteur qui ne nie pas avoir fait de Satô un double papier de lui-même. Angoisse qui l’empêche de dormir, qui le rend malade, incompréhension face à l’attentisme de ses concitoyens, questions cruciales dès qu’il avale quelque chose (d’où cela vient-il ? Est-ce sain ?), énervement à l’écoute ou la lecture des décisions flottantes du comment faire pour enrayer la catastrophe en marche, soulagement à l’annonce de la réussite des opérations, pleurs et coups de gueule lorsque de rares fuites médiatiques révèlent le manque de sérieux de TEPCO ou quand la désinformation se fait plus évidente, conciliabules avec ses rares amis partageant son éveil primal au danger imminent qui ne pourra que se propager et se multiplier si les choses demeurent telles quelles, tentatives de faire entendre sa voix par les réseaux sociaux, par les manifestations, colère devant le refus d’entendre raison de ses concitoyens qui ne veulent pas rogner sur leur confort pour préserver l’avenir, colère alors qu’il découvre que le Japon n’est pas libre de ses décisions, trop empêtré dans le protectionnisme américain et le marché économique mondial… Colère, colère, colère !
L’absolue honnêteté de Takashi Imashiro est poignante. A aucun moment il ne renie ses propos, ne regrette ses mots, pensés ou écrits, son personnage image de lui-même insulte les politiques, les autorités mondiales du nucléaire, ses concitoyens aveugles ou passifs. « Bande de cons », « ta gueule connard », « situation de merde »… Si habitués que nous sommes, et pour cause, à l’image du japonais pondéré, engoncé dans sa politesse en toutes circonstances, les mots de Takashi Imashiro séduisent donc plus encore non seulement par leur message universel mais surtout par leur sincérité. Sa véhémence surprend et fait particulièrement écho au caractère si réputé du français râleur, à ceci près qu’ici, tout est légitime.
Le trait du mangaka n’est pas des pus esthétiques, il s’apparente volontiers au dessin de caricature mais est parfaitement adapté au propos de Colère Nucléaire. Ce qui compte n’est pas le style graphique mais ce qu’il montre. Et la mise en image de cette révolte est parfaite : elle montre un protagoniste anonyme auquel on s’identifie sans mal, une grande cité et ses habitants, le quotidien des japonais et n’efface jamais la force des mots.
Akata n’a rien négligé pour cette édition du tome 1 : photos prises par Takashi Imashiro au plus près de la centrale, en combinaison de circonstances, chronologie détaillée de la catastrophe, prologue du traducteur Yuta Nabatame dont le travail soutien à la virgule près le ton du mangaka, préface signée d’un membre de l’ACRO (Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest), interview par Takashi Imashiro du président du Nouveau Parti Nippon, Yasuo Tanaka, postface signée par le mangaka, clés de compréhension…
A lire absolument !
Points forts :
- Récit réaliste à 200%
- Narration de type reportage mais par un amateur donc appréciable par le grand public
- Honnêteté du propos qui ne passe aucun fait sous silence
- Vrai point de vue citoyen sur les faits que nous connaissons mal en Europe
- Ensemble du volume cohérent et pédagogique + + +
- Personnage principal qui est une projection de l’auteur
- Vrai documentaire écrit pour tous
- Propos sans pathos ni exagération, seulement les faits tels qu’ils ont été perçus par l’auteur
- Travail journalistique de qualité
- Traduction au service du propos du mangaka
- Édition française très soignée
Points faibles :
Verdict : Un Excellent Tome !!!